L'Express
du 28/09/1990
La vraie vie de René Bousquet
par Eric Conan
Le cas de René Bousquet semble d'autant plus significatif de ce que fut
l'engagement volontaire de l'appareil administratif vichyste qu'il ne s'agissait
ni d'un antisémite, ni d'un idéologue, ni d'un ultra de la Collaboration.
C'est pourquoi nous avons tenté de reconstituer en détail le destin
de ce grand commis de l'Etat. Dotée d'une étonnante continuité,
sa carrière, aussi bien remplie qu'avant, pendant qu'après la
guerre, constitue à elle seule une belle tranche de notre histoire récente
«Je rentre à Paris, il est grand temps que je me fasse arrêter!»
avait-il confié à l'un de ses anciens collègues préfet,
après avoir précipitamment quitté Montauban, le 7 juin,
au lendemain du débarquement de Normandie. En cette fin du printemps
1944, alors que l'écroulement du château de cartes qu'est devenu
le régime de Vichy s'accélère, la Gestapo interpelle,
le 9 juin, dans la capitale, René Bousquet, ancien secrétaire
général à la police de Pétain, en «disponibilité»
depuis son éviction, le 31 décembre 1943. Placé sous
surveillance pendant une dizaine de jours dans une villa de Neuilly, il prend
ensuite la route pour le Reich - avec sa femme et son fils - dans une voiture
que Karl Oberg, chef des SS en France, a mise à sa disposition, par
«amitié et protection», avec l'un de ses chauffeurs particuliers.
Le commandant SS Schmitt, qu'il connaît bien, I'accompagne. Une seconde
voiture suit, avec les bagages. Cela lui vaudra de terminer la guerre en famille,
au cœur de la Bavière, dans une villa d'Ober-Allmannshausen, prés
du lac de Starnberg. Et, surtout, de rentrer en France, en 1945, paré
du titre de «déporté en Allemagne»: un dernier rôle
bien utile pour un personnage qui en a déjà joué beaucoup
d'autres, pendant cinq ans...
A 35 ans à peine, tandis que l'issue du conflit ne fait plus de doute,
il se retrouve, en effet, avec le privilège, soudain encombrant, de
figurer parmi les personnages clefs du régime de Vichy. L'un des plus
fascinants, qui tranche, par sa jeunesse et son intelligence, sur les images
d'Epinal de cette gérontocratie dépassée par les événements.
C'est parce qu'il n'a jamais été un militant d'extrême
droite ni un idéologue de la Collaboration, mais, au contraire, un
brillant haut fonctionnaire, couvé par le radical-socialisme, que René
Bousquet, acceptant d'assumer, au nom d'une mystique de l'État, les
crimes les plus terribles de l'Occupation, apparaît, aujourd'hui, comme
l'un des acteurs français les plus gênants de cette période
longtemps refoulée.
La carrière de ce fonctionnaire modèle de la IIIe République
démarre en trombe. Elle commence dans l'exceptionnel et s'y maintiendra.
En mars 1930, des inondations dramatiques ravagent le Sud-Ouest. René
Bousquet, fils d'un notaire radical-socialiste de Montauban, vient de finir
son droit à Toulouse. A 20 ans à peine, il assure depuis peu,
les fonctions de chef de cabinet du préfet de Tarn-et-Garonne, quand
survient cette catastrophe qui va le transformer, en quelques jours, en héros
national: avec un ami (qui périra), il se lance dans les opérations
et sauve personnellement de la noyade plusieurs dizaines de personnes. Le
président Doumergue tiendra à récompenser ce comportement
inhabituel pour un représentant de la préfectorale. en décernant
lui-même au héros le titre de chevalier de la Légion d'honneur
et la Médaille d'or des belles actions.
Cette distinction précoce lui vaut immédiatement le parrainage
des empereurs du radical-socialisme toulousain que sont Maurice Sarraut (sénateur
et patron du quotidien régional La Dépêche) et son frère
Albert (député et ministre quasi permanent sous la IIIe République),
qui vont aider sa carrière. D'abord détaché à
la Présidence du Conseil afin de diriger le service technique chargé
de la reconstruction des départements sinistrés du Midi, il
devient, à 22 ans, chef adjoint de cabinet de Pierre Cathala ministre
(radical) de l'Intérieur et ami intime de Pierre Laval. Puis sous-préfet,
en 1933. Enfin, directeur général du cabinet du ministre de
l'Agriculture, en 1935. Promotion extraordinaire, qui fait des jaloux: sa
nomination un peu rapide au rang de sous-préfet de première
classe, attaquée par un collègue, sera annulée par le
Conseil d'Etat (mais reconfirmée dès le lendemain). En 1936,
Roger Salengro, ministre de l'Intérieur du Front populaire, choisit
ce jeune - mais déjà grand -commis du radicalisme pour lui confier
la responsabilité du fichier central à la Sûreté
nationale. Car sa réputation de républicain anticagoulard en
fait alors un élément particulièrement «sûr».
En avril 1938, Albert Sarraut, ministre de l'lntérieur, le nomme sous-préfet
de Vitry-le-François, dans la Marne (l'un des rares départements
radicaux-socialistes au nord de la Loire), afin de régler une délicate
affaire: les habitants se rebellent contre la destruction, décidée
pour des raisons militaires, d'un arc de triomphe. Ayant astucieusement résolu
le problème (il fait démonter soigneusement le monument, en
promettant qu'il sera reconstruit plus tard), René Bousquet devient,
l'année suivante, secrétaire général de la préfecture
de Châlons-sur-Marne. Puis préfet, en 1940, après l'armistice.
Et, ensuite, préfet régional (le plus jeune de France, à
31 ans), en septembre 1941. Du jamais-vu: en trois ans la carrière
préfectorale la plus fulgurante dans un même département,
de surcroît très sensible.
A l'instar de ses parrains les Sarraut, ce fonctionnaire prodige a accepté
Pétain. Il œuvre, dans la Marne, à la «restauration
de la souveraineté administrative». Mais se distingue en maintenant
en fonction les élus radicaux et francs-maçons, notamment le
maire de Vitry et celui de Reims, Paul Marchandeau (auteur du décret-loi
d'avril 1939 réprimant les propos antisémites), qui avait été
révoqué par les Allemands, en juillet 1940 («Je suis partout»
déplore ainsi que, à cause de lui, «les francs-macons
[aient] gagné leur bataille de la Marne»...). Il favorise l'évasion
de certains prisonniers de guerre. Et parvient habilement à épargner
à la Marne le système allemand de I'«Ostland» (colonisation
économique), qui frappe les départements voisins de l'Aisne
et des Ardennes. Il révolutionne, au passage, les structures de la
production et du négoce du champagne en mettant en place le Comité
interprofessionnel des vins de Champagne, qui organise toujours le système
actuel.
Ces réussites économiques lui vaudront de se voir proposer,
par Darlan, au début de 1942, les ministères du Ravitaillement
et de l'Agriculture. Il refuse par deux fois. Moins par scrupule que pour
poursuivre son «œuvre» commencée dans la Marne. Car,
s'il ne fait pas d'excès de zèle, il ne se dérobe pas
à la règle du jeu de la collaboration. En novembre 1941, la
police de Reims livre aux Allemands des militants communistes arrêtés
(sur dénonciation d'un collègue) après la distribution
d'un tract («Brisons l'arme de l'antisémitisme! Unissons-nous!»)
dans les établissements Heidsieck. La plupart d'entre eux furent fusillés.
A son retour au pouvoir, en avril 1942, Pierre Laval, qui cumule le titre
de chef du gouvernement et les portefeuilles des Affaires étrangères
et de l'lntérieur, pense aussitôt à lui pour le secrétariat
général à la police. Au moment précis où
les SS prennent, en zone occupée, la responsabilité du maintien
de l'ordre, jusqu'alors détenue par l'armée d'occupation. Pendant
vingt mois, à la tête de toutes les forces de répression
de Vichy, René Bousquet - qui jouit d'une délégation
générale et permanente de signature du chef du gouvernement
- va s'enivrer, à 33 ans, de cette caricature de «souveraineté
de l'État» que fut le pétainisme. En effet, les Allemands
lui concéderont volontiers quelques symboles illusoires, en échange
des immenses services qu'il leur rendra. S'engageant à maintenir l'«ordre
public» (menacé par des menées selon lui «plus antinationales
qu'antiallemandes»), il tire gloire d'avoir réclamé aux
occupants la fin de la subordination directe de la police française
et un peu d'autonomie. Mais en acceptant de les satisfaire de son mieux, comme
il le précise, le 18 juin, dans une lettre adressée à
son interlocuteur principal, Karl Oberg chef des SS en France: «Vous
connaissez la police française. Elle a sans doute ses défauts,
mais aussi ses qualités. Je suis persuadé que, réorganisée
sur des bases nouvelles et énergiquement dirigée, elle est susceptible
de rendre les plus grands services. Déjà, dans de nombreuses
affaires, vous avez pu constater l'efficacité de son action. Je suis
certain qu'elle peut faire davantage encore.»
«Bousquet ayant demandé que tous les services de police soient
réunis sous ses ordres, nous sommes entrés dans ses vues [contrairement
aux vœux de Darquier de Pellepoix], parce que nous avions intérêt
à ce que la police française soit réunie dans une seule
main», précisera, plus tard, Karl Oberg. Ainsi René Bousquet
présentera-t-il comme une victoire la suppression de la police antijuive
de l'antisémite forcené qu'est le commissaire général
aux Questions juives Darquier de Pellepoix. Alors qu'Oberg avait bien compris
que ce personnage zélé mais brouillon ne pesait pas lourd: ses
sbires, peu nombreux et inexpérimentés, paraissaient dérisoires
face à l'enjeu essentiel que constituait la collaboration du système
policier français (y compris la gendarmerie et le Contrôle économique),
mobilisé dans le culte de l'efficacité technique par René
Bousquet, dont il note les «facultés extraordinaires de travail».
Et avec lequel il va vite entretenir des relations qu'il qualifie d'«amicales».
Les SS considèrent même que les revendications de René
Bousquet constituent pour eux des atouts. Consulté à l'époque,
Reinhard Heydrich, chef de l'Office central de sécurité du Reich,
«a indiqué ses expériences en Tchécoslovaquie et
a conclu qu'une large autonomie de la police et de l'administration réaliserait
les meilleurs résultats», déclarera Karl Oberg, en 1950,
lors de l'instruction de son procès.
Les SS décidèrent donc, sur une base de «camaraderie policière»,
de laisser quelque autonomie au secrétaire général à
la police de Vichy, à condition qu'il dirige ses troupes «dans
le même esprit que la police allemande, c'est-à-dire lutte contre
le communisme, les saboteurs de tous ordres, les terroristes». Le caractère
hautement bénéfique de ce choix sera confirmé, un an
plus tard, par Heinrich Himmler lui-même, après sa rencontre
secrète - durant plus de cinq heures - avec le chef de la police française,
à Paris, en avril 1943. «Le ReichsFührer a été
impressionné par la personnalité de Bousquet, et il partage
maintenant manifestement la conception représentée jusqu'ici
par Oberg, à savoir que Bousquet est un collaborateur précieux
dans le cadre de la collaboration policière et qu'il serait un adversaire
dangereux s'il était poussé dans l'autre camp», concluait
de cette visite Rudolf Schleier, adjoint de l'ambassadeur d'Allemagne, Otto
Abetz.
Il suffisait d'accorder au responsable de la police française le plaisir
de protester de temps en temps, car, pour l'essentiel, il s'acquittait de
ce que l'on attendait de lui. Ce que l'on a appelé les «accords
Oberg-Bousquet» symbolise le marché de dupes auquel il faisait
semblant de croire. Il s'agissait, en réalité, d'une «déclaration»
unilatérale d'Oberg, présentée le 8 août 1942 -
après «négociation» avec René Bousquet -
devant tous les préfets régionaux au cours d'un dîner
fin. Le chef des SS en France reconnaissait, théoriquement, l'«indépendance»
de la police et de la gendarmerie nationales, qui, notamment, ne devaient
plus être obligées de fournir des otages ni des personnes arrêtées
par les Français (sauf les auteurs d'attentats contre les Allemands).
Déclaration sans effet: trois jours plus tard, à la suite de
l'assassinat de 8 Allemands, la police française dut livrer 70 otages
français, que les occupants exécutèrent, le 11 août
(dont 57 arrêtés par les Français pour des délits
d'opinion: distribution de tracts aide aux évadés, suspicion
de communisme...). Cela continuera régulièrement. Le 21 septembre,
la police remettra même à la Gestapo, d'un seul coup, 116 personnes,
immédiatement fusillées. La plupart avaient été
également arrêtées pour de simples délits.
René Bousquet persistera à manifester ses bonnes dispositions;
ainsi, en avril 1943, lorsqu'il écrit à Oberg: «Le vœu
que je forme est que la police française, dont jamais la tâche,
techniquement et moralement, n'a été plus rude, en libre expression
de son indépendance, qui est la marque la plus éclatante de
la souveraineté de son gouvernement, puisse poursuivre avec une énergie
farouche la lutte contre tous les adversaires de la sécurité
intérieure française, contre tous les agents de l'étranger
qui voudraient faire régner sur notre territoire l'anarchie et le désordre
contre tous les hommes qui, allant chercher leurs mots d'ordre à l'étranger,
veulent servir une cause qui n'est pas celle de la France.»
René Bousquet joua ainsi un rôle déterminant dans la participation
de la poliœ aux opérations de déportation des juifs. Dès
mai 1942, il s'était déjà montré plus que coopératif
en demandant à Reinhard Heydrich (venu lui annoncer l'évacuation
prochaine des juifs apatrides de la zone occupée) s'il ne pouvait pas
également déporter les juifs apatrides enfermés, depuis
un an et demi, dans les camps de la zone sud. Les Allemands, qui s'avouent
un peu surpris, saisissent l'offre: dès le 17 juillet, trois trains
de 1 000 personnes partiront, chaque semaine, de la zone non occupée.
Le 2 juillet 1942 a lieu la rencontre décisive de René Bousquet
et Karl Oberg pour la préparation des arrestations des 16 et 17 juillet,
dans la région parisienne (rafle du Vel' d'Hiv'). Pour les occupants,
il avait suffi une fois de plus, de lui donner l'illusion provisoire que l'on
cédait à l'une de ses demandes. En échange de l'ajournement
des déportations de juifs français, René Bousquet propose
de «faire arrêter les juifs étrangers dans toute la France».
Les Allemands, qui n'espéraient pas que les choses se passeraient si
bien et voyant tout l'intérêt de procéder par «étapes»,
sautent sur l'occasion. «Vu que les juifs de nationalité française
ne devaient, pour le moment, pas être arrêtés, Bousquet
se déclara prêt à faire arrêter les juifs étrangers,
dans toute la France, par une action réalisée en commun et en
quantité souhaitée par nous», rapportèrent-ils
comme une victoire. Cet engagement de René Bousquet à assurer
l'exécution des rafles de juifs étrangers sera approuvé,
le 3 juillet, par Pierre Laval. Grâce à eux, la France est le
seul pays d'Europe dans lequel des juifs séjournant dans un territoire
non occupé par les Allemands furent déportés.
Les rafles de la région parisienne (qui aboutirent, notamment, à
l'épisode tragique des milliers d'enfants séparés de
leurs parents dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande) se révèlent
moins fructueuses que prévu: de nombreux juifs, prévenus par
certains policiers bienveillants ou des tracts de la résistance juive,
y échappèrent. Le responsable de la police de Vichy s'efforce,
donc, de faire mieux dans la zone sud. Afin d'augmenter le rendement de la
grande rafle, prévue pour le 26 août, il adresse aux préfets
de sa propre initiative et par télégramme secret, de nouvelles
instructions annulant les précédentes dispositions réglementaires,
qui mettaient à l'abri des arrestations certaines catégories
d'enfants. Désormais, ceux de moins de 18 ans et les pères et
les mères ayant un enfant de moins de 5 ans ne sont plus épargnés.
Le 22 août, il recommande aux préfets de sévir contre
les fonctionnaires manquant de zèle: «Vous n'hésiterez
pas à briser toutes les résistances que vous pourrez rencontrer
dans les populations et à signaler les fonctionnaires dont les indiscrétions,
la passivité ou la mauvaise volonté auraient compliqué
votre tâche.» Il décide aussi que les opérations
seront massives mais rapides, ainsi que le souligne Ernst Heinrichsohn. de
la Gestapo, dans un rapport du 17 août: «Ces rafles sont de grande
envergure, car M. Bousquet estime qu'il est préférable d'arrêter
tous les juifs en une seule grande rafle que de procéder à plusieurs
rafles isolées, lesquelles permettraient aux juifs de se cacher ou
de fuir à destination des pays neutres frontaliers.» Malgré
toutes ces précautions les résultats ne satisfont pas le chef
de la police qui s'adresse, à nouveau, aux préfets, par télex,
le 30 août: «Attire votre attention sur écart sensible
entre nombre israélites étrangers recensés et nombre
arrêtés. Stop. Poursuivre et intensifier opérations police
en cours avec tout le personnel police et gendarmerie disponible.» Certains
enfants, réfugiés dans des foyers après l'arrestation
de leurs parents, le 26 août, furent ainsi récupérés
par les policiers français et rassemblés dans le camp de Rivesaltes,
avant leur départ pour l'Allemagne.
Dans son concours à la déportation des juifs, la logistique
française fut déterminante: arrestations effectuées par
les policiers, grâce à leur fichier; transport et internement
dans des camps de conœntration français. Opérations énormes
que les Allemands n'auraient jamais pu réaliser seuls. Cet engagement
minutieux, voire tatillon, dans l'exécution des crimes nazis n'empêche
pas René Bousquet de jouer un rôle essentiel de conseiller auprès
de Pierre Laval. Quand, rituellement, vers 18 heures, le chef du gouvernement
quitte l'hôtel du Parc pour sa résidenœ de Châteldon,
trois personnes de confiance filtrent les coups de téléphone
qu'il reçoit: Jean Jardin, Charles Rochat, secrétaire général
du Quai d'Orsay, et René Bousquet... «J'étais le collaborateur
le plus proche de Laval», confirmera-t-il, lui-même, après
la guerre. Le chef du gouvernement lui fait souvent lire ses discours. René
Bousquet précisera, en 1952, que, Laval lui ayant soumis le fameux
discours contenant sa plus célèbre phrase - «Je souhaite
la victoire de l'Allemagne parœ que sans elle le bolchevisme s'installerait
partout dans le monde» - il l'avait mis en garde, jugeant celle-ci «excessive
et inopportune». Tout en ajoutant: «C'est très exactement
ce que déclaraient quelques hommes d'État isolés mais
lucides, en Europe et ailleurs, en cette même année 1942.»
Et lorsque, à la suite des rafles de l'été 1942, quelques
évêques et cardinaux se réveillent et protestent, c'est
René Bousquet qui a l'idée de génie de les faire taire
en menaçant les subventions et les privilèges fiscaux des écoles
catholiques... Suggestion que Laval adoptera, en octobre, avec un succès
certain auprès de la hiérarchie catholique.
Ce rôle de proche conseiller, doublé de celui de premier flic
de France (on le surnomme alors «le Fouché de Laval»),
en fait l'une des vedettes les plus remarquées du Tout-Vichy. Adorant
se montrer, grand, portant un soin excessif à sa tenue vestimentaire,
ii reste le meilleur exemple de cette Collaboration de technocrates brillants,
froids et arrogants. Ce qui lui vaut, outre de régulières condamnations
à mort par la radio de Londres l'inimitié des vieux dinosaures
pétainistes, tel Joseph Barthélemy, ministre de la Justice,
évoquant, dans ses «Mémoires», cet homme «ambitieux
et arriviste, fort joli garçon, élégant et admiré
des femmes qui aiment les jolis garçons, surtout l'hiver quand le grand
col de fourrure de sa pelisse faisait un cadre à sa beauté»,
et sa «joie enfantine à étaler son tableau de chasse,
le nombre des arrestations». Mais aussi celle des ultras des partis
et des journaux collaborationnistes, tel «Au pilori», qui dénonce
ce «bellâtre montalbanais» et ironise sur les «femmes
de la haute société qui se font une gloire d'accepter les faveurs
de ce don Juan de bazar toulousain». Ils dénoncent ses amitiés
francs-maçonnes, l'accusent d'être le «représentant
occulte à Vichy de la centrale Sarraut» - cette «camarilla
toulousaine radical-socialisante et parlementaire» - et vilipendent
sa «mollesse» dans la répression, favorisant ainsi l'essor
des maquis. Malgré ces polémiques, sa proximité politique
et affective avec Laval durera jusqu'au bout: après la Libération,
c'est lui qui rédige, à Fresnes, les notes dont celui-ci avait
besoin pour la préparation de son procès et qui passe auprès
de lui une partie de la nuit précédant son exécution.
Il ne le reniera jamais, continuant même à écrire, dans
les années 50, que son maître était, en réalité,
animé par «une sorte d'exaltation vers le progrès humain
qui allait très loin, dans sa jeunesse, enfoncer ses racines aux sources
d'un socialisme dont il n'avait abandonné que l'expression partisane
et strictement politique».
Mais les conflits internes au petit monde de la Collaboration vont provoquer
sa chute. Le 2 décembre 1943, Maurice Sarraut est assassiné.
Artisan du rapprochement entre certains radicaux et Laval, le vieux pacha
du radicalisme était haï à la fois de la Résistance
et des ultras. On soupçonne d'abord les communistes, puis il s'avère
que les assassins sont des miliciens. Fidèle à son clan, René
Bousquet fait de leur arrestation une affaire personnelle. La Milice et les
ultras hurlent à la trahison et demandent à Berlin sa révocation.
Se sachant perdu, René Bousquet donne du panache à son départ,
ordonne quelques libérations et détruit ses archives, avant
de démissionner, le 31 décembre. Son remplaçant sera
Joseph Darnand, chef de la Milice, pronazi zélé. Mais l'engagement
hystérique de ce dernier ne sera pas le plus efficace: la majeure partie
des déportations eurent lieu lors de la présence du technocrate
Bousquet à la tête de la police, en 1942-1943 (60 000 juifs deportés,
contre 15 000 en 1944).
René Bousquet ne sera jamais jugé. Le 8 juin 1993, à
Paris, un déséquilibré, Christian Didier, l'assassinera
de cinq balles avant d'être arrêté au milieu d'un reality
show qu'il a organisé trois heures après en invitant journalistes
et télés dans sa chambre d'hôtel.
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